Mobilisation contre la création d’une section Criminologie au sein du CNU
Publié le 10 novembre 2016
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Mis à jour le 4 janvier 2017
Le projet de création d’une section de Criminologie au sein du Conseil national des université suscite l’inquiétude de la communauté universitaire. Voir le communiqué signé par des enseignants pénalistes et directeurs d’instituts de sciences criminelles et de criminologie :
Date(s)
le 12 mars 2012
Pour une rénovation des Instituts de sciences criminelles et de criminologie dans l’Université française
Nous, directeurs d’Instituts de sciences criminelles et de criminologie ou d’unités de recherche et d’enseignement en droit pénal, en droit public et en criminologie, et enseignants-chercheurs dans ces matières, souhaitons prendre part à la consultation initiée par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche à la suite du Rapport de la Conférence nationale de criminologie, dirigée par le Professeur Loïck Villerbu, sur « La faisabilité, la mise en place et le développement, des études, recherches et formations en criminologie » et du rapport « d’étape » rédigé sous la direction du Professeur Christian Vallar.
Au terme de ce second rapport, il est proposé la création d’une section du Conseil national des Universités intitulée « criminologie, diplomatie, polémologie, stratégie » et certains membres de la conférence précitée réclament même de toute urgence la création d’UFR de criminologie (M. HerzogEvans, R. Cario, L. Villerbu, Pourquoi il est urgent de créer des UFR de criminologie, D. 2011, Point de vue, p. 766 ; v. aussi M. Herzog-Evans, http://herzogevans.com/edito/2011_01_06.php).
Nous nous opposons résolument à ces deux projets, tout en souhaitant promouvoir, au sein de l’Université française, une recherche et une formation de qualité en criminologie. Certains d’entre nous l’ont déjà fait savoir en signant une pétition en ce sens (V. Contre la création d’une section de criminologie au CNU, JCP G 2011, act. p.36; D. 2011, Point de vue, p. 457); les positions d’opposition à ces projets de l’association pour la « Qualité de la science française » (8 mars 2011, http://www.qsf.fr/), de l’Association française de criminologie (14 mars 2011, http://www.afcassoc.org/), d’un collectif de chercheurs sociologues et politistes (15 mars 2011, http://www.laurentmucchielli.org/), du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (23 mars 2011, http://www.cesdip.fr/), de la revue Champ Pénal/Penal Field (24 mars 2011, http://champpenal.revues.org/7999), de l’Association française de science politique (12 avril 2011, http://www.afsp.msh-paris.fr/)et de la conférence des Doyens des facultés de droit et science politique, ainsi que les réactions qu’elles ont suscitées v. http://herzogevans.com/edito/2011_03_19.php)
nous conduisent à préciser notre argumentaire et à formuler une proposition.
Nous contestons à la criminologie toute qualification de « discipline » autonome ou de « science » à part entière. En un siècle d’existence, la criminologie n’a en effet jamais été autre chose qu’ un champ d’étude au croisement de nombreuses disciplines. Dans ce champ se rencontrent des juristes, des politistes, des sociologues, des démographes, des économistes, des anthropologues, des philosophes, des psychologues, des psychanalystes, ou des médecins; dans ce champ interviennent des professionnels : magistrats, policiers, avocats, personnels pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse, ou encore experts près les tribunaux. La criminologie apporte à tous ces acteurs un supplément de compétence dans la compréhension du phénomène criminel et la mise en oeuvre de la réponse pénale mais elle ne saurait se substituer à leur formation initiale. Un enseignant-chercheur en sociologie pénale doit d’abord être un bon sociologue, avant de se prétendre criminologue. Un expert en psychiatrie auprès des tribunaux doit d’abord être un bon psychiatre avant d’être un bon criminologue. Un avocat pénaliste, un juge d’instruction doivent d’abord être de bons juristes.
De ce point de vue, la création d’une section de criminologie au sein du CNU n’a pas de sens. Nous émettons de très sérieuses réserves au rapprochement entre la criminologie et la polémologie, ainsi a fortiori qu’avec la diplomatie, rapprochement qui résulterait de la création d’une section « Criminologie, diplomatie, polémologie, stratégie » ; ce regroupement hétérogène qui s’inscrit ouvertement dans la continuité du Rapport remis par Monsieur Alain Bauer en 2008 sur « La formation et la recherche stratégique » est une dénaturation de la criminologie lourde de conséquences négatives. La criminologie ne saurait se réduire à un ensemble de savoirs sur la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. Aucun criminologue universitaire ne peut raisonnablement accepter une telle assimilation.
Nous réprouvons, plus généralement, l’instrumentalisation de la criminologie à des fins politiques qui vise à apporter une pseudo-caution scientifique à une politique pénale à la dérive (multiplication d’injonctions de soin ou de traitement et de mesures de sûreté, diagnostics de dangerosité précoce, recherche du risque zéro). Cette criminologie confond les domaines de l’expertise commandée et de la recherche indépendante.
Nous contestons une présentation caricaturale de la criminologie française, qui constitue un affront à tous ceux qui ont, depuis de nombreuses années et de manière indépendante, investi ce champ d’étude. La criminologie française n’est pas «absente » et elle ne l’a jamais été. Elle existe, non seulement à travers son histoire (Lacassagne, Lagache, Tarde, Pinatel, Léauté, Colin, etc.) mais aussi grâce à de très riches et nombreux travaux contemporains dans le champ criminologique par des auteurs qui n’ont pas eu besoin d’une section du CNU pour être reconnus en France et à l’étranger. Ces chercheurs français qui ne s’affichent pas « criminologues » sont reconnus précisément parce qu’ils ont l’honnêteté scientifique de se dire d’abord juristes, psychologues, sociologues, psychiatres, psychanalystes ou politistes et que seule cette formation d’origine leur confère une crédibilité, pour investir le champ de la criminologie. Certes, ils sont peu nombreux à être invités à l’étranger ou dans les colloques internationaux mais la raison tient moins à la qualité de leurs travaux qu’à l’insuffisance de leur référencement dans les bibliographies ou les revues étrangères. Or ce n’est pas parce que des travaux, y compris en langue anglaise, sont ignorés par une partie de la communauté scientifique étrangère qu’ils n’existent pas. Faut-il le rappeler, il existe depuis 1987 une association internationale des criminologues de langue française, laquelle organise 1 v. R. Gassin, Criminologie et savoir sur la sécurité intérieure, RPDP 2010, p. 485 et s. régulièrement des colloques. Enfin, il suffit de consulter, par exemple, le fond documentaire des plus grandes bibliothèques du monde, comme celui de l’Institut Max Planck pour le droit pénal étranger et international de Fribourg en Allemagne pour constater que les publications françaises y sont très largement représentées.
Nous critiquons une vision déformée de la criminologie pratiquée à l’étranger. S’il existe effectivement, dans certains pays, comme le Canada ou la Belgique, des spécialistes diplômés uniquement de criminologie, ceux-ci sont principalement embauchés comme agent de probation; les chercheurs ou les enseignants en criminologie ont, en revanche, tous une discipline de rattachement. Ils sont d’abord juristes, sociologues, politistes, médecins ou démographes avant d’être criminologues. Il en va de même des analystes comportementaux, qui ont d’abord ou aussi une formation de policiers. La criminologie apparaît donc à l’étranger comme une formation complémentaire. La France n’y fait pas exception. De ce point de vue, la création d’UFR de criminologie n’a pas de sens.
Nous reconnaissons cependant que l’enseignement de la criminologie dans l’Université française souffre d’une grande disparité et d’une faible visibilité. Cette situation est regrettable car elle favorise l’émergence d’une criminologie non universitaire et (donc) non indépendante. Le constat a en effet pu être dressé par la conférence présidée par le Professeur Villerbu d’une grande disparité et d’une faible lisibilité des diplômes liés à la criminologie et aux sciences criminelles. Si traditionnellement, cet enseignement reste rattaché aux facultés de droit : cours d’introduction à la criminologie en licence et surtout diplômes délivrés par les instituts de criminologie ou de science criminelle; il a, depuis les années 70, été logiquement étendu aux écoles de formation professionnelle (ENM, ENAP, PJJ, CRFPA, ENSP, etc.) et des diplômes d’université ont même été créés en psychologie ou en médecine (principalement médecine légale). Plus récemment, à la suite de la réforme dite de Bologne, des Masters (M2) en criminologie ont vu le jour. La prééminence du droit dans ces formations s’explique aisément, sans pour autant être inéluctable. Rappelons que les prisons ont été les premiers « laboratoires » de la criminologie ; qu’il s’en est suivi de nombreux travaux sur l’étiquetage et la stigmatisation, notamment pour invalider toute différenciation quant aux traits psychologiques ou sociologiques relevés. Rappelons également que le droit occupe « naturellement » une place centrale en criminologie: il n’existe pas de discours sur la délinquance et sur les auteurs d’acte de délinquance sans une qualification juridique préalable, sans l’intervention d’une procédure pénale, sans réflexion sur la et les lois, sous tous leurs aspects. De même toute réflexion sur la peine est indissociable d’une réflexion sur le crime (d’où le lien originaire entre la criminologie et la « science pénitentiaire », actuellement dénommée pénologie). Mais aucun juriste, même paléolithique, ne s’est jamais opposé à ce que les sociologues ou les psychologues créent des formations complémentaires adaptées à leurs préoccupations. D’où la diversification, qui est de l’essence même de la criminologie. On peut regretter que la disparité actuelle des formations s’accompagne d’un cloisonnement disciplinaire, lui-même entretenu par un cloisonnement institutionnel entre UFR. La criminologie pâtit de ce manque de rencontre entre les disciplines. Et ce n’est pas en érigeant la criminologie en discipline autonome que l’on va favoriser ce dialogue et ces rencontres. La criminologie ne pourra renaître que dans la pluridisciplinarité.
Aussi, nous proposons de réhabiliter au sein de l’Université des lieux de recherche et de formation pluridisciplinaires dédiés à la criminologie et à l’ensemble des sciences criminelles. Ces lieux existent : il s’agit des Instituts de sciences criminelles et de criminologie. Créés, pour la plupart, dans les années 40-50, par décret ou arrêté voire par simples délibérations de conseils d’université, et rattachés aux facultés de droit, ces instituts sont indéniablement en perte de vitesse : certains fonctionnent encore, d’autres ont disparu, d’autres sont tombés en sommeil. Les uns délivrent des diplômes d’université, les autres accueillent des master; certains sont uniquement des lieux de formation, d’autres abritent des équipes de recherche; certains sont labellisés « Equipe d’accueil », d’autres enfin sont des entités au statut juridique non défini. Or cette situation regrettable peut facilement être améliorée. Il suffit, dans un premier temps, de faire renaître la conférence des directeurs d’instituts de sciences criminelles ou criminologie, en l’élargissant aux directeurs d’unités d’enseignement et de recherche partageant le même objet. Le présent appel pouvant être l’acte refondateur de cette conférence. Cette conférence pourrait, dans un second temps, proposer un statut rénové de ces instituts universitaires, lesquels n’auront pas vocation à demeurer exclusivement rattachés aux facultés de droit mais pourront au contraire se situer à l’intersection de différentes UFR, ce qui permettra une meilleure répartition des coûts (mutualisation des secrétariats, des cours de langues, des bibliothèques, etc.). Enfin, ce statut rénové garantira la pluridisciplinarité
et l’indépendance nécessaires à une recherche et une formation de qualité en criminologie. Les diplômes universitaires de criminologie seront revalorisés et la recherche redynamisée.
Les premiers signataires (13 mai 2011)
Julie Alix, maître de conférences à l’Université du Maine
Coralie Ambroise-Castérot, professeur à l’Université de Nice-Sophia Antipolis
Olivier Beaud, professeur à l’Université Panthéon-Assas
Pascal Beauvais, professeur à l’Université de Poitiers.
Florence Bellivier, professeur à l’Université Paris-Ouest Nanterre
Jérôme Bossan, maître de conférences, membre de l’équipe poitevine de recherche et d’encadrement doctoral en sciences criminelles (EPRED)
Delphine Brach-Thiel, maître de conférences à la Faculté de droit de Metz, HDR, Codirectrice de l’Institut de sciences criminelles et médicales (ISCRIMED)
Loïc Cadiet, membre de l’Institut universitaire de France, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I, directeur du département de recherche sur la Justice et le procès
Olivier Cahn, maître de conférences en droit pénal et scienecs criminelles, Université de Cergy Pontoise, responsable du LEJEP-Centre d’étude et de recherches en sciences criminelles
Jean Cédras, professeur agrégé à la faculté de droit de La Rochelle, ancien Avocat général à la Cour de cassation, secrétaire général de la Revue internationale de droit pénal
Anne-Sophie Chavent-Leclere, maître de conférences à l’Université Lyon III, codirectrice de l’Institut d’études judiciaires
Jean-Yves Chevalier, Professeur émérite de l’Université de Rennes I
David Chilstein, professeur à l’Université d’Artois
Philippe Conte, professeur à l’Université Panthéon-Assas, directeur de l’institut de criminologie de Paris
Adrien-Charles Dana, professeur à l’université Jean Moulin Lyon III, directeur du centre de droit pénal, Doyen honoraire de la faculté de droit, bâtonnier honoraire
Jean Danet, avocat honoraire, maître de conférences à l’université de Nantes
Michel Danti-Juan, professeur à l’université de Poitiers, directeur de l’Institut de sciences criminelles de Poitiers
Audrey Darsonville, professeur à l’Université d’Auvergne
David Déchenaud, professeur à l’ Université Pierre Mendès France, Grenoble II, membre de l’institut de sciences criminelles de Grenoble
François Desprez, maître de conférences à l’Université Université Paris Nanterre
Laurent Desessard, maître de conférences à l’Université de Poitiers, membre de l’équipe poitevine de recherche et d’encadrement doctoral en sciences criminelles (EPRED)
Anne d’Hauteville, professeur émérite de l’Université de Montpellier I
Emmanuel Dreyer, professeur à l’Université Paris Sud
Frédérique Fiechter-Boulvard, maître de conférences à l’Université Pierre Mendès France, GrenobleII
Elisabeth Fortis, professeure à l’Université Paris-Ouest Nanterre, Co-directrice du Centre de droit pénal et de criminologie (CDPC)
François Fourment, Professeur à l’Université de Nancy
Evelyne Garçon, professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV, membre de l’ institut de sciences criminelles et de la justice
Virginie Gautron, maître de conférences à la Faculté de droit d’Angers, membre du Laboratoire Droit et changement social
Christine Gavalda-Moulenat, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Perpignan Via Domitia
Wilfrid Jeandidier, professeur agrégé des facultés de droit, ancien directeur du master 2 de droit pénal de la Faculté de droit de Lyon III, doyen honoraire de la Faculté de droit de la Réunion, directeur honoraire de l’Institut de sciences pénales et de criminologie d’Aix-en-Provence
Bertrand de Lamy, professeur à l’Université de Toulouse I Capitole
Christine Lazerges, professeur à l’Université Panthéon Sorbonne, Directeur de l’Ecole doctorale de droit comparé
Jocelyne Leblois-Happe, professeur à l’Université de Strasbourg
Agathe Lepage, professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas
Corine Mascala, professeur à l’université Toulouse 1 Capitole
Patrick Maistre du Chambon, professeur à l’ Université Pierre Mendès France, Grenoble II, Doyen honoraire de la Faculté de droit de Grenoble, Président honoraire de la Conférence des Doyens
Valérie Malabat, professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV, membre de l’nstitut de sciences criminelles et de la justice
Michel Massé, professeur à l’Université de Poitiers, Co-directeur de l’équipe de recherche en droit pénal (EPRED), Responsable du master 2 recherche Droit pénal approfondi et sciences criminelles.
Eric Mathias, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paris- Est, Avocat au barreau du Gers
Haritini Matsopoulou, professeur de droit privé à la Faculté Jean Monnet de l’Université Paris-Sud 11, directrice de l’Institut d’études judiciaires, co-directrice du Master 2 Droit pénal et Pratique du droit pénal.
Yves Mayaud, professeur à l’Université Panthéon-Assas
Patrice Mistretta, maître de conférences à la faculté de droit de l’Université d’Auvergne
Raphaële Parizot, maître de conférences à l’école de droit de l’Université Panthéon-Sorbonne
Xavier Pin, professeur à l’Université Jean Moulin Lyon III, Directeur du Master 2 Recherche Droit pénal fondamental, animateur de l’Institut Rhône-alpin de sciences criminelles (IRASC),
Pierrette Poncela, professeure à l’Université Université Paris Nanterre, Directrice du Centre de Droit Pénal et de Criminologie (CDPC), Co-Directrice du Master droit pénal et procédure pénale
Jean Pradel, professeur émérite de l’Université de Poitiers
Michèle-Laure Rassat, professeur émérite des facultés de droit
Caroline Renaud-Duparc, maître de conférences à l’Université d’Angers
Gabriel Roujou de Boubée, professeur émérite à l’Université de Toulouse
Claire Saas, maître de conférences à l’université de Nantes, HDR
Jean-Christophe Saint-Pau, Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l’Institut de sciences criminelles et de la justice
Jean-François Seuvic, professeur agrégé de droit privé et sciences criminelles, directeur du Master 2 de Droit pénal et du diplôme de Criminologie de l’Université de Nancy.
Jean-Baptiste Thierry, Maître de Conférences de Droit privé à l’Université de Nancy, membre de l’Institut de sciences criminelles et médicales (ISCRIMED)
Didier Thomas, Professeur à la Faculté de droit et de science politique de Montpellier, Directeur de l’Institut de Sciences Criminelles, Directeur de l’Equipe de Recherche sur la Politique Criminelle (ERPC), Directeur du Master Recherche Droit pénal fondamental
Vanessa Valette-Ercole, maître de conférences à l’Université de Perpignan via Domitia.
André Varinard, professeur émérite, ancien directeur du Centre de droit pénal de l’Université Jean Moulin Lyon III
Julien Walther, maître de conférences de droit privé à l’Université Paul Verlaine de Metz
Djoheur Zerouki-Cottin, maître de conférences de droit privé à l’ Université Pierre Mendès-France Grenoble II.
Nous, directeurs d’Instituts de sciences criminelles et de criminologie ou d’unités de recherche et d’enseignement en droit pénal, en droit public et en criminologie, et enseignants-chercheurs dans ces matières, souhaitons prendre part à la consultation initiée par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche à la suite du Rapport de la Conférence nationale de criminologie, dirigée par le Professeur Loïck Villerbu, sur « La faisabilité, la mise en place et le développement, des études, recherches et formations en criminologie » et du rapport « d’étape » rédigé sous la direction du Professeur Christian Vallar.
Au terme de ce second rapport, il est proposé la création d’une section du Conseil national des Universités intitulée « criminologie, diplomatie, polémologie, stratégie » et certains membres de la conférence précitée réclament même de toute urgence la création d’UFR de criminologie (M. HerzogEvans, R. Cario, L. Villerbu, Pourquoi il est urgent de créer des UFR de criminologie, D. 2011, Point de vue, p. 766 ; v. aussi M. Herzog-Evans, http://herzogevans.com/edito/2011_01_06.php).
Nous nous opposons résolument à ces deux projets, tout en souhaitant promouvoir, au sein de l’Université française, une recherche et une formation de qualité en criminologie. Certains d’entre nous l’ont déjà fait savoir en signant une pétition en ce sens (V. Contre la création d’une section de criminologie au CNU, JCP G 2011, act. p.36; D. 2011, Point de vue, p. 457); les positions d’opposition à ces projets de l’association pour la « Qualité de la science française » (8 mars 2011, http://www.qsf.fr/), de l’Association française de criminologie (14 mars 2011, http://www.afcassoc.org/), d’un collectif de chercheurs sociologues et politistes (15 mars 2011, http://www.laurentmucchielli.org/), du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (23 mars 2011, http://www.cesdip.fr/), de la revue Champ Pénal/Penal Field (24 mars 2011, http://champpenal.revues.org/7999), de l’Association française de science politique (12 avril 2011, http://www.afsp.msh-paris.fr/)et de la conférence des Doyens des facultés de droit et science politique, ainsi que les réactions qu’elles ont suscitées v. http://herzogevans.com/edito/2011_03_19.php)
nous conduisent à préciser notre argumentaire et à formuler une proposition.
Nous contestons à la criminologie toute qualification de « discipline » autonome ou de « science » à part entière. En un siècle d’existence, la criminologie n’a en effet jamais été autre chose qu’ un champ d’étude au croisement de nombreuses disciplines. Dans ce champ se rencontrent des juristes, des politistes, des sociologues, des démographes, des économistes, des anthropologues, des philosophes, des psychologues, des psychanalystes, ou des médecins; dans ce champ interviennent des professionnels : magistrats, policiers, avocats, personnels pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse, ou encore experts près les tribunaux. La criminologie apporte à tous ces acteurs un supplément de compétence dans la compréhension du phénomène criminel et la mise en oeuvre de la réponse pénale mais elle ne saurait se substituer à leur formation initiale. Un enseignant-chercheur en sociologie pénale doit d’abord être un bon sociologue, avant de se prétendre criminologue. Un expert en psychiatrie auprès des tribunaux doit d’abord être un bon psychiatre avant d’être un bon criminologue. Un avocat pénaliste, un juge d’instruction doivent d’abord être de bons juristes.
De ce point de vue, la création d’une section de criminologie au sein du CNU n’a pas de sens. Nous émettons de très sérieuses réserves au rapprochement entre la criminologie et la polémologie, ainsi a fortiori qu’avec la diplomatie, rapprochement qui résulterait de la création d’une section « Criminologie, diplomatie, polémologie, stratégie » ; ce regroupement hétérogène qui s’inscrit ouvertement dans la continuité du Rapport remis par Monsieur Alain Bauer en 2008 sur « La formation et la recherche stratégique » est une dénaturation de la criminologie lourde de conséquences négatives. La criminologie ne saurait se réduire à un ensemble de savoirs sur la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. Aucun criminologue universitaire ne peut raisonnablement accepter une telle assimilation.
Nous réprouvons, plus généralement, l’instrumentalisation de la criminologie à des fins politiques qui vise à apporter une pseudo-caution scientifique à une politique pénale à la dérive (multiplication d’injonctions de soin ou de traitement et de mesures de sûreté, diagnostics de dangerosité précoce, recherche du risque zéro). Cette criminologie confond les domaines de l’expertise commandée et de la recherche indépendante.
Nous contestons une présentation caricaturale de la criminologie française, qui constitue un affront à tous ceux qui ont, depuis de nombreuses années et de manière indépendante, investi ce champ d’étude. La criminologie française n’est pas «absente » et elle ne l’a jamais été. Elle existe, non seulement à travers son histoire (Lacassagne, Lagache, Tarde, Pinatel, Léauté, Colin, etc.) mais aussi grâce à de très riches et nombreux travaux contemporains dans le champ criminologique par des auteurs qui n’ont pas eu besoin d’une section du CNU pour être reconnus en France et à l’étranger. Ces chercheurs français qui ne s’affichent pas « criminologues » sont reconnus précisément parce qu’ils ont l’honnêteté scientifique de se dire d’abord juristes, psychologues, sociologues, psychiatres, psychanalystes ou politistes et que seule cette formation d’origine leur confère une crédibilité, pour investir le champ de la criminologie. Certes, ils sont peu nombreux à être invités à l’étranger ou dans les colloques internationaux mais la raison tient moins à la qualité de leurs travaux qu’à l’insuffisance de leur référencement dans les bibliographies ou les revues étrangères. Or ce n’est pas parce que des travaux, y compris en langue anglaise, sont ignorés par une partie de la communauté scientifique étrangère qu’ils n’existent pas. Faut-il le rappeler, il existe depuis 1987 une association internationale des criminologues de langue française, laquelle organise 1 v. R. Gassin, Criminologie et savoir sur la sécurité intérieure, RPDP 2010, p. 485 et s. régulièrement des colloques. Enfin, il suffit de consulter, par exemple, le fond documentaire des plus grandes bibliothèques du monde, comme celui de l’Institut Max Planck pour le droit pénal étranger et international de Fribourg en Allemagne pour constater que les publications françaises y sont très largement représentées.
Nous critiquons une vision déformée de la criminologie pratiquée à l’étranger. S’il existe effectivement, dans certains pays, comme le Canada ou la Belgique, des spécialistes diplômés uniquement de criminologie, ceux-ci sont principalement embauchés comme agent de probation; les chercheurs ou les enseignants en criminologie ont, en revanche, tous une discipline de rattachement. Ils sont d’abord juristes, sociologues, politistes, médecins ou démographes avant d’être criminologues. Il en va de même des analystes comportementaux, qui ont d’abord ou aussi une formation de policiers. La criminologie apparaît donc à l’étranger comme une formation complémentaire. La France n’y fait pas exception. De ce point de vue, la création d’UFR de criminologie n’a pas de sens.
Nous reconnaissons cependant que l’enseignement de la criminologie dans l’Université française souffre d’une grande disparité et d’une faible visibilité. Cette situation est regrettable car elle favorise l’émergence d’une criminologie non universitaire et (donc) non indépendante. Le constat a en effet pu être dressé par la conférence présidée par le Professeur Villerbu d’une grande disparité et d’une faible lisibilité des diplômes liés à la criminologie et aux sciences criminelles. Si traditionnellement, cet enseignement reste rattaché aux facultés de droit : cours d’introduction à la criminologie en licence et surtout diplômes délivrés par les instituts de criminologie ou de science criminelle; il a, depuis les années 70, été logiquement étendu aux écoles de formation professionnelle (ENM, ENAP, PJJ, CRFPA, ENSP, etc.) et des diplômes d’université ont même été créés en psychologie ou en médecine (principalement médecine légale). Plus récemment, à la suite de la réforme dite de Bologne, des Masters (M2) en criminologie ont vu le jour. La prééminence du droit dans ces formations s’explique aisément, sans pour autant être inéluctable. Rappelons que les prisons ont été les premiers « laboratoires » de la criminologie ; qu’il s’en est suivi de nombreux travaux sur l’étiquetage et la stigmatisation, notamment pour invalider toute différenciation quant aux traits psychologiques ou sociologiques relevés. Rappelons également que le droit occupe « naturellement » une place centrale en criminologie: il n’existe pas de discours sur la délinquance et sur les auteurs d’acte de délinquance sans une qualification juridique préalable, sans l’intervention d’une procédure pénale, sans réflexion sur la et les lois, sous tous leurs aspects. De même toute réflexion sur la peine est indissociable d’une réflexion sur le crime (d’où le lien originaire entre la criminologie et la « science pénitentiaire », actuellement dénommée pénologie). Mais aucun juriste, même paléolithique, ne s’est jamais opposé à ce que les sociologues ou les psychologues créent des formations complémentaires adaptées à leurs préoccupations. D’où la diversification, qui est de l’essence même de la criminologie. On peut regretter que la disparité actuelle des formations s’accompagne d’un cloisonnement disciplinaire, lui-même entretenu par un cloisonnement institutionnel entre UFR. La criminologie pâtit de ce manque de rencontre entre les disciplines. Et ce n’est pas en érigeant la criminologie en discipline autonome que l’on va favoriser ce dialogue et ces rencontres. La criminologie ne pourra renaître que dans la pluridisciplinarité.
Aussi, nous proposons de réhabiliter au sein de l’Université des lieux de recherche et de formation pluridisciplinaires dédiés à la criminologie et à l’ensemble des sciences criminelles. Ces lieux existent : il s’agit des Instituts de sciences criminelles et de criminologie. Créés, pour la plupart, dans les années 40-50, par décret ou arrêté voire par simples délibérations de conseils d’université, et rattachés aux facultés de droit, ces instituts sont indéniablement en perte de vitesse : certains fonctionnent encore, d’autres ont disparu, d’autres sont tombés en sommeil. Les uns délivrent des diplômes d’université, les autres accueillent des master; certains sont uniquement des lieux de formation, d’autres abritent des équipes de recherche; certains sont labellisés « Equipe d’accueil », d’autres enfin sont des entités au statut juridique non défini. Or cette situation regrettable peut facilement être améliorée. Il suffit, dans un premier temps, de faire renaître la conférence des directeurs d’instituts de sciences criminelles ou criminologie, en l’élargissant aux directeurs d’unités d’enseignement et de recherche partageant le même objet. Le présent appel pouvant être l’acte refondateur de cette conférence. Cette conférence pourrait, dans un second temps, proposer un statut rénové de ces instituts universitaires, lesquels n’auront pas vocation à demeurer exclusivement rattachés aux facultés de droit mais pourront au contraire se situer à l’intersection de différentes UFR, ce qui permettra une meilleure répartition des coûts (mutualisation des secrétariats, des cours de langues, des bibliothèques, etc.). Enfin, ce statut rénové garantira la pluridisciplinarité
et l’indépendance nécessaires à une recherche et une formation de qualité en criminologie. Les diplômes universitaires de criminologie seront revalorisés et la recherche redynamisée.
Les premiers signataires (13 mai 2011)
Julie Alix, maître de conférences à l’Université du Maine
Coralie Ambroise-Castérot, professeur à l’Université de Nice-Sophia Antipolis
Olivier Beaud, professeur à l’Université Panthéon-Assas
Pascal Beauvais, professeur à l’Université de Poitiers.
Florence Bellivier, professeur à l’Université Paris-Ouest Nanterre
Jérôme Bossan, maître de conférences, membre de l’équipe poitevine de recherche et d’encadrement doctoral en sciences criminelles (EPRED)
Delphine Brach-Thiel, maître de conférences à la Faculté de droit de Metz, HDR, Codirectrice de l’Institut de sciences criminelles et médicales (ISCRIMED)
Loïc Cadiet, membre de l’Institut universitaire de France, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I, directeur du département de recherche sur la Justice et le procès
Olivier Cahn, maître de conférences en droit pénal et scienecs criminelles, Université de Cergy Pontoise, responsable du LEJEP-Centre d’étude et de recherches en sciences criminelles
Jean Cédras, professeur agrégé à la faculté de droit de La Rochelle, ancien Avocat général à la Cour de cassation, secrétaire général de la Revue internationale de droit pénal
Anne-Sophie Chavent-Leclere, maître de conférences à l’Université Lyon III, codirectrice de l’Institut d’études judiciaires
Jean-Yves Chevalier, Professeur émérite de l’Université de Rennes I
David Chilstein, professeur à l’Université d’Artois
Philippe Conte, professeur à l’Université Panthéon-Assas, directeur de l’institut de criminologie de Paris
Adrien-Charles Dana, professeur à l’université Jean Moulin Lyon III, directeur du centre de droit pénal, Doyen honoraire de la faculté de droit, bâtonnier honoraire
Jean Danet, avocat honoraire, maître de conférences à l’université de Nantes
Michel Danti-Juan, professeur à l’université de Poitiers, directeur de l’Institut de sciences criminelles de Poitiers
Audrey Darsonville, professeur à l’Université d’Auvergne
David Déchenaud, professeur à l’ Université Pierre Mendès France, Grenoble II, membre de l’institut de sciences criminelles de Grenoble
François Desprez, maître de conférences à l’Université Université Paris Nanterre
Laurent Desessard, maître de conférences à l’Université de Poitiers, membre de l’équipe poitevine de recherche et d’encadrement doctoral en sciences criminelles (EPRED)
Anne d’Hauteville, professeur émérite de l’Université de Montpellier I
Emmanuel Dreyer, professeur à l’Université Paris Sud
Frédérique Fiechter-Boulvard, maître de conférences à l’Université Pierre Mendès France, GrenobleII
Elisabeth Fortis, professeure à l’Université Paris-Ouest Nanterre, Co-directrice du Centre de droit pénal et de criminologie (CDPC)
François Fourment, Professeur à l’Université de Nancy
Evelyne Garçon, professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV, membre de l’ institut de sciences criminelles et de la justice
Virginie Gautron, maître de conférences à la Faculté de droit d’Angers, membre du Laboratoire Droit et changement social
Christine Gavalda-Moulenat, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Perpignan Via Domitia
Wilfrid Jeandidier, professeur agrégé des facultés de droit, ancien directeur du master 2 de droit pénal de la Faculté de droit de Lyon III, doyen honoraire de la Faculté de droit de la Réunion, directeur honoraire de l’Institut de sciences pénales et de criminologie d’Aix-en-Provence
Bertrand de Lamy, professeur à l’Université de Toulouse I Capitole
Christine Lazerges, professeur à l’Université Panthéon Sorbonne, Directeur de l’Ecole doctorale de droit comparé
Jocelyne Leblois-Happe, professeur à l’Université de Strasbourg
Agathe Lepage, professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas
Corine Mascala, professeur à l’université Toulouse 1 Capitole
Patrick Maistre du Chambon, professeur à l’ Université Pierre Mendès France, Grenoble II, Doyen honoraire de la Faculté de droit de Grenoble, Président honoraire de la Conférence des Doyens
Valérie Malabat, professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV, membre de l’nstitut de sciences criminelles et de la justice
Michel Massé, professeur à l’Université de Poitiers, Co-directeur de l’équipe de recherche en droit pénal (EPRED), Responsable du master 2 recherche Droit pénal approfondi et sciences criminelles.
Eric Mathias, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paris- Est, Avocat au barreau du Gers
Haritini Matsopoulou, professeur de droit privé à la Faculté Jean Monnet de l’Université Paris-Sud 11, directrice de l’Institut d’études judiciaires, co-directrice du Master 2 Droit pénal et Pratique du droit pénal.
Yves Mayaud, professeur à l’Université Panthéon-Assas
Patrice Mistretta, maître de conférences à la faculté de droit de l’Université d’Auvergne
Raphaële Parizot, maître de conférences à l’école de droit de l’Université Panthéon-Sorbonne
Xavier Pin, professeur à l’Université Jean Moulin Lyon III, Directeur du Master 2 Recherche Droit pénal fondamental, animateur de l’Institut Rhône-alpin de sciences criminelles (IRASC),
Pierrette Poncela, professeure à l’Université Université Paris Nanterre, Directrice du Centre de Droit Pénal et de Criminologie (CDPC), Co-Directrice du Master droit pénal et procédure pénale
Jean Pradel, professeur émérite de l’Université de Poitiers
Michèle-Laure Rassat, professeur émérite des facultés de droit
Caroline Renaud-Duparc, maître de conférences à l’Université d’Angers
Gabriel Roujou de Boubée, professeur émérite à l’Université de Toulouse
Claire Saas, maître de conférences à l’université de Nantes, HDR
Jean-Christophe Saint-Pau, Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l’Institut de sciences criminelles et de la justice
Jean-François Seuvic, professeur agrégé de droit privé et sciences criminelles, directeur du Master 2 de Droit pénal et du diplôme de Criminologie de l’Université de Nancy.
Jean-Baptiste Thierry, Maître de Conférences de Droit privé à l’Université de Nancy, membre de l’Institut de sciences criminelles et médicales (ISCRIMED)
Didier Thomas, Professeur à la Faculté de droit et de science politique de Montpellier, Directeur de l’Institut de Sciences Criminelles, Directeur de l’Equipe de Recherche sur la Politique Criminelle (ERPC), Directeur du Master Recherche Droit pénal fondamental
Vanessa Valette-Ercole, maître de conférences à l’Université de Perpignan via Domitia.
André Varinard, professeur émérite, ancien directeur du Centre de droit pénal de l’Université Jean Moulin Lyon III
Julien Walther, maître de conférences de droit privé à l’Université Paul Verlaine de Metz
Djoheur Zerouki-Cottin, maître de conférences de droit privé à l’ Université Pierre Mendès-France Grenoble II.
Mis à jour le 04 janvier 2017